1983- 2017 : Fondation, direction et animation de l’Atelier Sorcier asbl
Paru dans le Ligueur des parents du 14 août 2013.
Anne Liebhaberg : l’art, c’est pas sorcier !
Depuis trente ans, la plasticienne pédagogue peaufine la démarche artistique dans l’Atelier Sorcier qu’elle dirige. Jusqu’au-boutiste, la sculptrice place l’art au centre de la vie.
Très sollicitée, elle passe d’une pièce à l’autre. Elle est rassurée. L’atelier tourne. Réfléchie, confiante, structurée, Anne Liebhaberg a trouvé ici sa liberté créatrice pour la communiquer aux autres. La nécessité de l’art, ce serait aussi la transmission d’une démarche artistique. « Une façon d’être acteur de sa vie », souffle l’administratrice déléguée et fondatrice de l’Atelier Sorcier à Lonzée.
Anne Liebhaberg donne vie au village : l’Atelier accueille des « aspirants sorciers », petits et grands, depuis deux générations. Parmi les neuf animateurs permanents au total, les trois ou quatre présents le jour de notre visite restent concentrés sur leur tâche. Aujourd’hui, on met un peu d’ordre dans la joyeuse « pagaille » des lendemains de fête. L’Atelier Sorcier vient de célébrer ses 30 ans dans la joie et le sentiment d’un travail longuement partagé. Aux murs, une exposition rétrospective, 360°, décrypte tout ce qui donne sens à toutes ces années passées et préfigure demain.
Enfants et adultes
Quel chemin parcouru ! En 1980, Anne Liebhaberg quitte Bruxelles. À 24 ans, munie de son diplôme en arts plastiques, elle décide de se construire une nouvelle vie. À la campagne. Son besoin de prendre ses distances est irrépressible : « Je courais partout. Je vivais de mon art mais j’avais l’impression de ne pas travailler pour moi. Je faisais de l’art par procuration ». Elle vit et installe son atelier de sculpture dans une ancienne supérette à Lonzée. Très vite, elle veut partager le plaisir de la création avec les enfants : les animations du mercredi après-midi font rapidement le plein. En 1983, l’atelier devient un Centre d’Expression et de Créativité (CEC), arts plastiques et visuels, reconnu par la Communauté française et la Région wallonne. Des adultes poussent aussi la porte. « Je pense que l’expression de la créativité doit faire partie de la vie des enfants et des adultes. Il s’agissait ici d’initier à l’utilisation d’un outil de communication, d’expression ». Chacun met la main à la pâte, dans un cadre strictement défini. « Un travail artistique très bien cadré permet à la création d’aller beaucoup plus loin », souligne la plasticienne pédagogue. Quelque part, entre la technique, le jeu et l’émotion. Depuis, la maison ne désemplit pas et les partenariats se multiplient au fil des années.
Le réseau fonctionne. « La pratique de l’art contemporain peut faciliter la compréhension du monde », souligne Anne Liebhaberg. Ceux qui viennent ici toutes les semaines progressent dans leur apprentissage. L’évolution est visible. Ainsi, cet été, Emma, la fille aînée d’Anne, assiste une animatrice dans le cadre d’un stage pour enfants de 6-12 ans. Un retour aux sources : « Emma venait ici avec sa jeune sœur, dès l’âge de 4 ans », sourit la maman.
Citoyen du monde
Avec force, sans s’arrêter, Anne raconte la vie de l’Atelier Sorcier, ce lieu de « résistance, de liberté, hors des sentiers battus, indispensable dans une société de plus en plus formatée ». Rebelle ? Plutôt « disciple » d’un réseau citoyen, solidaire, intergénérationnel. Répondant aux questions, Anne Liebhaberg se met à évoquer, discrètement, son enfance dans un quartier tranquille à Bruxelles. À 10 ans, elle sculpte des objets dans le jardin familial. Suffisamment bien pour que ses parents l’encouragent. Ainsi naît une vocation. Apparemment, les gènes n’y ont pas leur part. Ses parents, commerçants, ont travaillé dur, très tôt. « Je suis un enfant de l’après-guerre. Mes parents ont été très courageux. Ils avaient une vraie curiosité culturelle tout en restant assez classiques. Ils défendaient mordicus le principe de laïcité ». Anne grandit donc dans une école au centre de Bruxelles, ouverte à toutes les classes sociales. « Je leur en suis très reconnaissante. La laïcité est extrêmement importante, elle permet de garder ses particularités. Je me situe comme un citoyen du monde ». Après ses études à l’Académie de Molenbeek, elle accepte de faire un remplacement dans le milieu scolaire comme animatrice à Bruxelles. C’est l’époque des premiers ateliers de modelage dans les classes primaires. Elle suit des cours de céramique.Le travail manuel, toujours. Et constamment guidée par un grand besoin d’indépendance. S’enchaînent l’exil à la campagne, la rencontre avec son futur mari. Elle quitte sa chambre de l’Atelier Sorcier alors que le boulot, l’art sont « toute sa vie ». Le couple s’installe à Saint-Denis (La Bruyère), non loin de Lonzée. Une autre vie. Un deuxième atelier, le sien. Dès qu’elle le peut, Anne se livre à la sculpture, sa passion de toujours. Elle se retrouve face à elle-même. « J’ai failli être une ermite. Mais j’ai creusé mon sillon. La vie collective à Lonzée et le travail solitaire chez moi me donnent une grande satisfaction. En tant que sculptrice, j’ai toujours mélangé les deux. Je pense qu’il faut une connaissance intime de la création pour pouvoir communiquer la démarche artistique». Anne Liebhaberg sculpte depuis vingt-cinq ans. Ses œuvres sont exposées en Belgique et à l’étranger. Depuis quelques années, elle aime le latex. Elle l’étire, le magnifie. En parle avec passion : « La matière est un être vivant. Chaque sculpture a la nécessité de la vie ». Émergent des structures fragiles, tantôt minuscules, tantôt imposantes. Pourquoi la sculpture ? Anne Liebhaberg veut revenir au toucher, au corps, aux origines. Aucun regret de vivre à la campagne ? « Pas du tout. J’ai mes amis ici. Des artistes, mais pas seulement. La campagne me permet de me nourrir culturellement. J’ai besoin d’être dans le calme. J’ai une hygiène de vie de qualité. Je choisis ce que je veux voir et entendre. Ma vie est ici. »
Corinne Le Brun