Extrait du texte présenté lors de l’exposition à la Galerie Chantal Dhont

….Anne Liebhaberg a choisi, elle, de partir du vide. Non pour le remplir mais pour l’habiller. Dès l’entrée de cette exposition, nous sommes en présence d’une colonne de latex creuse, que certains ont peut-être déjà vue, car l’artiste de ce soir a participé au projet  » Bobineuses  » à Leuze, de même qu’elle fit partie en 2005 des boursiers de la tapisserie.

 Dedans cette colonne, il y a l’air, l’impalpable, l’invisible, prisonniers latents d’une présence dressée, qui barre le passage mais qui relie aussi le bas et le haut, le terrestre et le céleste. C’est une allusion à l’architecture, celle des temples antiques, des cathédrales moyenâgeuses. Une référence au sacré, sortie des rites, dépouillée de dogme, propice seulement à la méditation.

 Dans le petit sanctuaire de l’entrée, il y a un trio de boîtes transparentes. Elles contiennent des objets intégrés à la lumière, sortes d’embryons à la fois issus du minéral, du végétal, de l’animal. Ils apparaissent comme des bijoux, des reliques, voire des ex-voto posés sur le rien, dénués de tout lien avec une quelconque anecdote.

Dans la pièce centrale, voici d’abord une carapace d’insecte, suspendue au-dessus de l’idée qu’on pourrait se faire d’un corps à venir ou déjà disparu. Elle vole sans ailes, elle habite l’espace sans le contraindre, ni l’enfermer. Ce dernier lui sert seulement de support. Elle est installée sur une absence, sur la place d’un souvenir ou d’une potentialité. Elle est placée sur ce que nos imaginations inventeront, et sur quoi, indubitablement, il n’y aura pas de mots à apposer  puisque ce qui n’est pas encore est impossible à nommer.

Voilà maintenant un drapé. C’est un vêtement, – robe, voile – dont le rôle serait de recouvrir un corps, une tête. Ni l’un ni l’autre ne sont là. Se perçoit cependant la certitude d’une existence. Derrière les bandes de latex il y a dû y avoir, il y aura quelqu’un ou quelque chose. Un autre drapé prend des allures de silhouette gréco-romaine. La statue qu’il aurait recouverte a disparu, enfouie dans l’Histoire. Pour une fois, les archéologues n’ont pas exhumé le marbre ou l’ivoire ; il ne leur reste qu’une apparence. C’est le fragile, l’éphémère qui ont survécu au temps.

Aucun rapport avec un fantôme. Car celui-ci est incorporel, visible bien que sans consistance matérielle. Alors que les œuvres de Liebhaberg ont la texture du latex, sa souplesse intrinsèque, sa matière à caresser. Cette substance possède sa douceur, sa capacité à recouvrir en adoptant l’allure de ce qu’elle habille. Seules les formes ici subsistent, nous laissant le soin de les envisager malgré notre ignorance de leurs origines.

Les motifs cousus forment des rythmes simples, répétitifs, éloignés des fioritures. Des fils dépassent, pendent. Ils frémissent, donnant ainsi de la vie à de l’inerte. Ils visualisent le souffle, la respiration. Ils attestent, à leur manière, l’acte créatif posé par un être humain, sa volonté d’assembler, son désir de façonner donc de maîtriser.

 À première vue, une des pièces exposées s’éloigne de l’esprit du reste. C’est cette espèce de blason, d’écusson, de symbole occulte appliqué à même la blancheur du mur. Son image  rappelle l’univers des insectes. Des traces, obtenues par oxydation, induisent une sorte d’araignée. Mais celle-ci s’apparente néanmoins aux autres sculptures qui l’entourent : car la toile supposée tissée par l’animal a disparu et c’est lui-même qui, grâce à une sorte d’osmose, a hérité de son aspect. Cette œuvre s’avère donc elle aussi présence sur une absence.

 L’ensemble a des allures de créations sacrées, destinées à quelque rituel ésotérique dont le sens échappera au profane, au païen qui se contente de voir des masses, se cantonne à l’utilitaire, ne prend pas le temps de se laisser imprégner. C’est encore le cas de ces structures plus petites. Ce sont des offrandes, des parures. Ce sont les deux simultanément dans la mesure où, lorsqu’elle est donnée en cadeau, toute parure est offrande. Elles tiennent de l’alvéole, une série d’alvéoles pour ruche légendaire. Elles ont la discrétion d’objets aimés, un moment délaissés, en attente d’être redécouverts.

 Attention cependant, si le travail de l’artiste s’approprie le vide, il ne s’accommode pas du néa

nt. Il est proche de la démarche du poète. Aussitôt qu’un mot désigne une chose ou un être, cette chose ou cet être deviennent réalité. Aussitôt que l’absence est vêtue, grâce à Anne Liebhaberg, ayant perdu sa nudité,  se métamorphose en existence. Nous sommes en ce lieu comme les habitants de la caverne de Platon qui ne voyaient du monde extérieur qu’un défilé d’ombres. Nous voyons les ornements, les bogues, les cosses, les cocons qui constituent les matérialisations du monde intérieur de la créatrice.

© Michel VOITURIER (AICA)