Exposition « Sculptures » Square Armand Steurs

Elles sont deux. Amarrées au paysage, elles s’y fondent, traces de la terre et du ciel. Elles sont vestiges de la nuit et du jour, dessinant la fortune du monde, son infortune aussi.  Drapées dans leur jeu de plis, elles tissent la destinée et tirent les fils de l’existence, à l’infini.

Elles sont marques du temps, gomme saignée à vif dans la peau de l’hévéa. Laiteuses, elles sont substances coulées, arrachées à la chair de la terre, scarifiées de coutures. Elles sont cicatrices psalmodiant la tragédie universelle.  De leurs sédiments plissés infusent la densité du vide.

Tannées par le soleil,  fossilisées, elles filtrent la lumière, la captent, la renvoient dans un ballet incessant d’ombres, de brillances et de matités à fleur d’épidermes durcis.  Elles sont cornes d’écorce terrestre. Elles sont reliefs, vallons ombragés, sommets gonflés d’air.

Tournées sur elles-mêmes, elles  s’organisent en parfaite intelligence autour d’un point de gravité. Repliées vers le dedans, elles sont intériorités, convergences de flux. Marines, aériennes, chthoniennes, elles secrètent la vie, la mort aussi. Elles sont terrains d’aventure mentale, champs de bataille invisibles où les forces centripètes et centrifuges s’entrechoquent. Au dehors, elles combattent  les éléments. Caressées par les vents, détrempées par les pluies, brûlées par les brumes, elles se métamorphosent suivant le souffle de la météo. Fluides, elles épousent les mouvements de l’univers et oscillent arrimées au sol. Légers, des fils noirs ondulent tels des antennes ondoyant à la surface de l’air. Figures mortuaires, elles pleurent l’incessante mue de la matière.

Carapaces-mémoires, elles narrent l’immémorable de l’humanité. Elles révèlent la fragilité du vivant. Translucides comme des chrysalides, racornies comme des feuilles desséchées, elles enveloppent la vie de leurs capes couleur rucher. Elles sont miels, bogues, empreintes, incisions du destin. Vestiges d’une bio-archéologie, elles disent  la musique tragique de la vie.

Michèle Minne