Munie de la froide sensualité du latex et de fil de couture, Anne Liebhaberg crée un monde d’une sensibilité féminine particulière. Entrelacs organiques ou seconde peau organisée en bandelettes, ses formes parlent avec fluidité du vide, du plein et de l’instabilité de la vie…
…Ruche, enveloppe, écorce, carapace, masque…les mots que l’on pourrait évoquer en découvrant le travail d’Anne Liebhaberg se rapportent tous à une forme d’échange entre le plein et le vide. Un lieu de rencontre où l’un fait résonner l’autre, où l’un intensifie l’autre. L’artiste nous parle de cette préoccupation qui l’a conduite à travailler la céramique » afin de tourner avec la matière autour du vide « . Obsession de l’absence qui densifie l’espace et que l’on retrouve à l’origine du premier acte de sculpture. N’est-ce pas pour remplir la trace de l’ombre de l’amant de sa fille laissée sur le mur que le potier Boutadès réalisa sa première statue ?* Dans l’atelier d’Anne, on peut lire cette phrase d’Anna Harendt : » L’affaire de la pensée consiste à rendre présent ce qui est absent. » L’acte créateur rejoint la pensée pour donner forme et couleur au vide, au manque.
Dans son atelier, Anne Liebhaberg se rend compte que le latex assemblé en couture peut devenir un véritable médium expressif. D’abord liquide, la matière posée par couches successives s’accumule en bandelettes sur la table. Une fois séchée, elle se fait peau, avec sa texture (d’une jeunesse encore élastique) et sa gamme de couleur. Mais c’est alors qu’apparaît la structure, la colonne vertébrale indispensable sans laquelle le latex reste une masse jaunâtre, informe, lamentablement étendue sur le sol. Car le volume doit atteindre son autonomie pour contenir le vide sans l’écraser. Métal incrusté ou fil organisé en réseau par un procédé artisanal délicat, les images qu’elle nous donne sont dansantes et fragiles mais jamais inanimées. Elles possèdent leur structure interne pour échapper à la mise en péril du corps -celle du temps – et former une entité esthétique.
Une tension double
Une cape suspendue est comme accrochée sur le vide. De longs restes de fils de couture qui ondulent avec l’air accentuent cette impression de légèreté. Peut-on parler d’une enveloppe alors que le trou noir qui se trouve à l’intérieur fait l’effet d’un spectre qui absorbe la lumière ? Ce vêtement fantomatique propose des résonances multiples et profondes. Il rejoint le front d’une actualité brûlante. On pense à l’interdit, au secret et à l’utilisation qu’en font les gouvernements comme moyen de pouvoir. Le port du voile et du tchador qui, à l’origine était un acte de foi, devient aujourd’hui un acte politique. Des sujets importants qui interpellent l’artiste. Mais la tension est double. Elle oppose l’interdit de montrer et d’être vu au spectacle radical de notre modernité. Ne dit-on pas qu’il faut se cacher pour mieux être vu ? L’écorce de protection qui se fend sur le vide – le corps invisible – ne l’a paradoxalement jamais rendu aussi présent. Un retournement de pouvoir s’opère de l’absence sur la présence. On retrouve la même impression devant ses masques.
Accrochées au mur ou réfugiées dans des boîtes, d’autres œuvres sont secrètes pour mieux se faire entendre. Ce sont les Miniatures. Pour les percevoir, il a fallu quitter notre espace et rejoindre le leur. Elles invitent le visiteur à se rapprocher mais se présentent comme une mise à distance de son corps. Nœuds intimes, cellules organisées, leurs formes sont organiques. Elles ont quitté le corps pour effectuer indépendamment leur purification charnelle tout en gardant en mémoire l’être vivant.
Wivine de Traux